Archive for avril, 2009

Des saveurs à la mode

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À l’occasion, j’aime bien me rappeller que mon antique quartier frôle l’architecture européenne et que ses immeubles me chantent la Bruxelles de Brel. L’impériale avenue où je vagabonde me mène, des matins durant, à humer les miches de pain fraîchement cuites du vieux Boulanger qui raconte à qui aime bien l’entendre que Céline Dion raffole de ses baguettes aux olives. Je me plis alors une longue baguette sous le bras, croyant naĩvement les propos du vieux bouc, qui trouve bien étrange cette fille qui va, lorgnant les immeubles l’air sortie des nues. Plus loin, toujours ma mie à l’aisselle, je gravitte les marches de cet épicier asiatique, qui aime bien raconter, à qui veut bien le comprendre, que ses rouleaux impériaux — à la saveur impérieuse de l’impérial cochon — peuvent s’acheter à la dizaine puisqu’ils se réchauffent. Je quitte avec dans chaque paume, une dizaine de ces délices frits, des champignons séchés, du poisson, des nouilles tordues dans tous les sens, vermicelles et compagnie pour me concocter des merveilles de l’Okinawa. Au seuil de mon appartement, une main sur le front,  je laisse sur le sol, et mie et poisson de Shan gai : j’ai oublié la « paint » de lait au dépanneur au coin de la septième.

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Il y a de ces livres qui ne s’écrivent pas

Somme toute, à 17 ans, nous nous croyons déjà si jeunes devant le fait accompli : 

– La vie, la highway! Nous la possédions comme cet éphèbe de Morisson que nous acclamions dans nos rêves de jeunes vierges. Sa poésie habrillait les murs de ton sous-sol et le fauve du fauteuil défraîchi avait jeté son dévolu sur ton nouveau jeans  »faussement hippie » volé dans une frippe — les fleurs étaient semblables — et nos soupirs rejetaient l’instant pour s’acharner sur un monde que nous ne possédions pas. Quelle mise en scène ne faisions nous pas pour jouer les bohèmes nouveau chic nouveau genre — dans le style  »chichis fond de cave » — nous chantions  »pluche pluche les carrottes »!

Qui serons-nous alors dans cette réunion insensée, d’anciens  »fonds de cave », à se remémorer 10 ans plus tôt, le cyclique join qui se promenait d’une paume à l’autre? Qui serons-nous, vénérables  »anciens », à déterrer les vieux disques qui jouent éternellement les refrains d’hier et de demain :

— Tu te rapelles — à quel point j’était une merde?– Et maintenant — à quel point je suis devenu QUELQU’UN?

QUELQU’UN : Ne possède aucun livre mais peut vous en écrire un format poche qui se résume rapidement : protagoniste de statut moyen qui s’accomplit entre deux marmots, dans une maison mitoyenne. Temporalité : investie à la bourse et dans l’immobilier.

Voilà donc ce à quoi nous rêvions lorsque nous cherchions la vie dans les craques de ton divan brun?

 

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Vide de sens

 

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Il n’est jamais trop tard pour devenir ce que nous aurions pu être.

[Georges Eliot]

Nous sommes au septième d’un immeuble à logement. Les lieux sont salubres, plutôt bien aménagés même. Nous irions jusqu’à dire qu’il flottait dans l’air de l’appartement 717 de l’immeuble 17 de la rue Septentrion, un parfum de chance. Jusqu’à maintenant, la vie portait plutôt bien la propriétaire que cet espace dorlotait. Elle recevait, tous les mardis, jeudis et samedis soir, Pierre, courtier en assurances, vendeur de prime à la pièce. L’expression  »tout baigne » convenait aux deux tourteraux qui avaient trouvé l’équilibre entre la vie à deux, conjuguant avoir et être, hypothéquant le présent avec vue sur la rue  »La rue » pour une future place au soleil  »Avenue des Heureux ». Chez ces deux jeunes gens, la gestion des petits plaisirs simples était bien investie. Le cash flow de la simplicité volontaire mènerait inévitablement à un bonheur hautement compétitif, dont le taux, très avantageux, permettra l’achat d’un terrain, d’une maison et peut-être même, d’un condo en Floride. Qui sait! Une retraite bien méritée se prépare d’or et déjà! Pierre et l’occupante de l’appartement 717, mariait à merveille efficacité et proactivité. Pierre ouvrait le courrier de sa belle, lui rappelant entre deux baisers, le paiement de ses factures versus, ses rendez-vous schédulés chez le garagiste lors du changement de saisons, chez le dentiste, une fois le sixième mois, chez son entraîneure perso pour la gym hebdomadaire…

Jetons un coup d’oeil à l’occupante du logement 715.

Le chiffre 5 du 715 est apposé à l’envers, car pense-t-elle , l’art moderne et la représentation de ses matériaux n’ont plus de frontières. Voilà donc le sujet passionnant d’une thèse que cette locataire s’apprête à remettre à son directeur. Chaque soir, elle engloutit Oréos et vanille française et puise dans ses derniers relants de café, le fil droit qui anime ses voisins, mais dans un but tout autre : mettre en page l’ultime osmose intellectuelle que réveille en elle la lecture de  »Charles et Harvey, vide de sens ».  Voilà déjà deux ans que la locataire de l’appartement 715 releve les incohérences de ce roman afin d’enseigner sa formule bourgeoise endoctrinée dans une recherche : celle d’un bonheur matériel qui deviendra bien sûr  »vide de sens ». La tête prise dans ce nuage livresque, elle en oublie presque les feuilles réelles que lui présente le coût de la vie. Elle se félicite alors de s’être rappelé à temps, le paiement fugace d’une soirée passée entre  »Historia » et  »Canal Vie ». Avec qui partage-t-elle ces instants mensuels où il lui arrive parfois d’ouvrir la télé? Avec une amie, car la vie à deux, cette locataire en avait déjà payé le prix de ses amours bourgeoises.

Le lien dans tout cela?

Probablement juste celui de l’appartement :

17, rue Septentrion…

 

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